Connaître la blogosphère archivistique francophone
16 Mai 2013
L'apport des blogs pour la recherche sur l'archivistique repose sur trois axes : la visibilité et la mise en place de nouveaux réseaux, le traitement de sujets de réflexion particuliers, le moyen de percevoir une science en train de se faire lorsqu'il s'agit de blogs scientifiques. Un dernier point d'analyse est nécessaire quant à la perception de l'utilité de ces blogs : la diffusion de l'information. Est-ce que les blogs permettent de communiquer et de relayer l'information de manière plus large ? Comment et à quelle rapidité celle-ci est-elle relayée ? Enfin, il serait utile de voir quelles sont les limites et les autres solutions utilisées.
A. Une diffusion rapide de la recherche ? L'exemple du Forum des archivistes
Le Forum de l'Association des archivistes français (AAF), organisé pour la première fois en 2013, fut un événement capital pour la profession. Il s’est tenu récemment à Angers du 20 au 22 mars et a été particulièrement important pour la communauté des archivistes par la richesse des interventions et l'importance de son retentissement. Il s'agissait de réfléchir et de mettre en mouvement plus de 1600 professionnels de tout horizon (archives centrales, régionales, départementales, communales et intercommunales, privées, enseignement supérieur et recherche). Ce premier objectif du Forum des archivistes s'est vu doublé d'un second à l'annonce d'une nouvelle loi patrimoine touchant les archives. L'AAF a alors voulu jouer son rôle dans le cadre de la concertation annoncée. En effet, au-delà d'un colloque scientifique et professionnel, dense et convivial, ce forum fut un large lieu de discussion sur les évolutions nécessaires du monde des archives, législatif et réglementaire. Il s'agissait pour les archivistes de s'interroger à nouveau sur leurs missions ou encore sur leur image. Cet événement est incontournable pour tout archiviste et a permis de mettre au jour les principaux sujets qui intéressent la communauté à l'heure actuelle. Il nous paraît particulièrement intéressant de voir dans quelle mesure il est repris dans les blogs d’archivistes et de comprendre ainsi à quelle échelle de rapidité les articles sur le sujet ont été publiés et à quelle échelle l'information fut diffusée par ces blogs.
Dans le tableau (illustration 14), les articles parus sur le forum sont classés par ordre chronologique. Il apparaît que l'évènement fut rapidement relayé mais par un très petit nombre de blogs. Nous voyons que seuls 5 auteurs de blogs sur le corpus de 20 que nous connaissons ont publié un billet sur le sujet (25%). Ce qui est particulièrement peu vu l'importance de l'évènement. Cela est représenté par l’illustration 15. Il est évident que certains blogueurs n'ont pas eu le temps de publier un article ou encore que d'autres n'ont pu participer au forum. Néanmoins la diffusion de l'évènement par ces blogs reste très légère et partielle. L'exemple du Forum des archivistes montre que nous ne pouvons pas réellement compter sur les blogs d'archiviste pour relayer les points principaux de l'actualité scientifique ou professionnelle du monde des archives. Le principal intérêt de ces blogs reste bien de retranscrire les intérêts principaux des auteurs qui consacrent du temps à leur blog. Les blogs ne sont pas des moyens systématiques de diffusion de l'information.
D'après le tableau des articles publiés sur le forum, nous voyons qu'il était question du forum bien avant qu'il ne se soit déroulé (dès le 14 juillet 2012). L'évènement fut couvert tout le long de la préparation, durant le forum, puis après le forum (jusqu'au 17 mai 2013), soit sur une durée de 10 mois. Cela fut rendu possible par la mise en place d'un blog spécifique pour l'évènement qui a été largement suivi, en témoigne le nombre des commentaires déposés. Là on peut voir un acte fort et utile de diffusion et de médiation de l'information. Mais le relais et la reprise de l'information reste faible. Par exemple, peu de blogueurs avaient placé l'adresse du blog du forum dans leur blogoliste (un seul à notre connaissance). Les sujets des articles qui ont reparlé du forum touchaient principalement les intérêts principaux de leurs auteurs. Ils sont un moyen de visualiser les champs de recherche les plus intéressant à leurs yeux. Cette analyse nous a permis de comprendre la rapidité de la diffusion de l’information par les blogs. Il s’agit également de voir comment celle-ci est reprise et de comprendre qu’il existe différents types de blogs comme nous l'avons déjà expliqué plus tôt. Un blog est centré spécifiquement sur ce forum et ne parle que des informations relatives à l'évènement. D’autres reprennent dans leurs billets des sujets de conférences, d’autres font des remarques constructives qui peuvent amener au débat. Si le blog n'est pas un média systématique du relais de l'information, il y contribue tout de même largement en ce sens où chaque auteur s'intéresse à la veille professionnelle dans le monde des archives et qu'il retransmet à ses lecteurs ce qu'il juge intéressant dans son domaine.
Aussi, les publications universitaires qui sont généralement distribuées à des publics spécialisés ne sont pas aussi facile d'accès et limite la diffusion. Pour les auteurs, le fait de publier des billets sur des blogs constitue un choix et un acte politique en faveur d’une démocratisation de l’accès aux informations. Ils donnent ainsi de l’espoir. En effet, les médias sociaux permettent de contribuer à l'appropriation citoyenne des débats et des connaissances du domaine des archives et de servir de support à des manières nouvelles de faire de la recherche.
B. Des limites ?
Mais mettre à disposition immédiatement de l'information sur son blog n'entraîne-t-il pas aussi des travers indésirables ? Cela semble d'autant plus vrai lorsque nous parlons des carnets de recherche en ligne. Ainsi, Marie-Anne Paveau voit des limites dans l'utilisation des blogs comme lieu de recherche en archivistique : « Je pense que cette géniale notion d’abondance numérique explique partiellement la rareté des blogs de recherche scientifique : l’abondance, c’est la fluidité incontrôlable, le détournement de l’appellation contrôlée, la qualité sans la norme NF, la crédibilité sans estampille. La créativité de l’abondance numérique contre l’idéologie de l’excellence scientifique ».
La réticence vis-à-vis du blogging scientifique peut être également comprise via les objections classiquement données par ses opposants. Tout d’abord, le blogging scientifique n’est pas aussi valorisé qu’une publication dans une revue (en particulier dès lors que celle-ci a un comité de lecture), car il s’agit d’une forme d’auto-publication. Il s’agit de plus d’une activité chronophage : cette dimension sera d’autant plus prononcée si le blogueur entre dans une logique de publication périodique tel le blog de Marie-Anne Chabin. Par ailleurs, d'autres estiment que le blogging scientifique peut porter préjudice à son auteur et, de fait, si un chercheur exprime une critique trop agressive il pourrait en faire les frais. Enfin, la publication de textes sur Internet fait parfois redouter que ceux-ci soient plus aisément plagiés. Il semblerait néanmoins que la publication sur un blog ait tendance, grâce au système de datation des billets mis en ligne, à protéger les auteurs du plagiat plutôt qu’à les y exposer. En comparaison, un texte original soumis lors d’une journée d’étude court beaucoup plus ce risque. Enfin, le caractère informel des blogs fait peur quant à la validité de l'information. Mais le fait que les blogs scientifiques précisent leurs arguments par des notes de bas de page et fournissent même des bibliographies montre le sérieux des auteurs qui sont bien souvent des professionnels à l'aise avec la rédaction scientifique.
Les limites des blogs qui sont évoquées ici ne condamnent pas pour autant leur utilisation. Mais la concurrence des autres médias sociaux est rude. Les blogs semblent déjà détrônés par Twitter, Facebook ou LinkedIn.
C. Les autres médias sociaux
Lors de la création du blog Le grenier des archivistes[1] en mai 2013, Yves Lapointe, archiviste blogueur québécois (Archivistique, « Libres propos sur la gestion des documents d’activité et des archives au XXIème siècle »[2]) expliquait dans un commentaire : « Je ne suis pas un grand blogueur, mais je suis assez présent sur Twitter et LinkedIn sur le plan professionnel. Ce sont deux belles plateformes complémentaires qui permettent de rester en contact avec des gens du métier et de véritablement communiquer sans frontière, découvrir les tendances, répondre à des questions, approfondir des sujets et amener de nouvelles idées. Un blogue peut être vraiment intéressant, mais il peut aussi être exigent à différents niveaux surtout en temps. Il faut l'alimenter régulièrement et être bien à l'aise avec les sujets que l'on aborde. Les réseaux sociaux complètent aussi très bien un blogue car ils peuvent aussi servir à propager l'existence d'un nouveau billet. Lorsque l'on manque de temps pour maintenir un blogue, on peut envisager s'adjoindre quelques collaborateurs.»
Il est intéressant de voir combien les autres médias sociaux sont aujourd'hui sollicités par les archivistes. Kate Theimer[3] dresse une liste très intéressante, assortie d’exemples, des différents outils utilisés : les blogs, Twitter et le microblogging, les podcasts, Facebook, Flickr, Youtube, les Wikis… En effet, le Forum des archivistes, pour reprendre le même exemple était accessible depuis twitter ou encore facebook[4]. Mais il ne s'agit plus pour les acteurs de publier des articles mais des courtes brèves, des ressentis ou encore des critiques qu'ils veulent faire partager sur le moment présent. Enfin, Kate Theimer pense que le Web 2.0 permet de rendre plus visible le travail de l’archiviste, elle parle en ce sens de transparence. Il s’agit de lever le voile qui sépare l’archiviste du public: un site comme Twitter permet de se rapprocher de l’archiviste et des Archives et de dialoguer directement.
[1]Le grenier des archivistes, op. cit.
[2]Archivistique, [en ligne], disponible sur http://archivistique.wordpress.com/author/infonuagid/ (consulté le 1 juin 2013).
[3]Kate Theimer « Interactivity, flexibility and transparency: social media and Archives 2.0 » dans The futur of archives and recordkeeping, Facet Pub, 2011, London, 244.p.
[4]Le Forum des archivistes [en ligne], disponible sur https://www.facebook.com/events/205486969553304/ (consulté le 25 mai 2013)